Brigitte Challande, 18 avril 2025.- Le 17 avril, Abu Amir envoie ce texte qui montre avec détails et précisions les outils « doux » du déplacement forcé qu'emploie Israël : préparer le terrain d'une troisième Nakba.
« La guerre à Gaza n'est plus une simple confrontation militaire menée à coups de bombes : elle est devenue un projet stratégique dont l'objectif profond est de vider Gaza de sa population, en imposant une nouvelle réalité démographique, sans déclaration officielle. Ce projet repose sur ce qu'on appelle les « outils doux du déplacement forcé ». Pas de déportation directe, pas d'ordre d'évacuation total, mais un étouffement lent, brutal, prolongé, qui pousse les gens à partir par eux-mêmes, en emportant les restes de leurs maisons et de leurs souvenirs, croyant - à tort - avoir fait ce choix librement.
Ce plan ne se met pas en œuvre en un jour. Il est préparé depuis des années, en s'appuyant sur une normalisation progressive : destruction systématique des infrastructures, interdiction de la reconstruction, restriction de la liberté de circulation, fermeture des points de passage, démantèlement des systèmes éducatifs et sanitaires, ciblage des terres agricoles, anéantissement des industries locales. Puis vient l'étape la plus pernicieuse : les aides internationales deviennent conditionnées ; le discours international commence à intégrer la notion de « relocalisation volontaire » ; des discussions émergent sur l'accueil des réfugiés palestiniens dans d'autres pays, comme si cet exode planifié n'était qu'une réponse humanitaire temporaire à une tragédie passagère - et non un crime soigneusement orchestré.
Ainsi, on ne demande pas explicitement aux Palestiniens de partir ; on les pousse à croire que fuir est leur seule chance de survivre à la mort, à la faim, à la noyade sous une tente qui ne protège ni de la pluie ni des bombes.
Depuis le début de l'agression d'octobre 2023, Israël a commencé à déplacer les habitants du nord vers le sud sous prétexte de créer des « zones sûres ». Des tracts ont été largués par avion, des messages envoyés par téléphone portable, des avertissements publics émis par l'armée israélienne. Les gens ont fui par peur, non par conviction. Mais une fois arrivés au sud, les bombardements les ont poursuivis, la destruction s'est étendue, et il ne leur restait plus que le passage de Rafah... fermé, contrôlé, ouvert uniquement pour ceux qui disposent de « coordinations » ou de sommes d'argent. Sortir vers l'Égypte est ainsi devenu un mince fil de survie, tendu devant ceux que la guerre a déjà vidés.
En parallèle, une nouvelle rhétorique est apparue dans le monde : celle du « transfert humanitaire temporaire ». Des voix politiques occidentales évoquent la nécessité de « trouver une solution pour les réfugiés » et « d'ouvrir des corridors humanitaires » - mais non pas à l'intérieur de Gaza, plutôt à l'extérieur. Des informations ont circulé - parfois fuitées, parfois assumées - sur des préparatifs pour créer des zones d'accueil dans le nord du Sinaï, accompagnés de propositions de facilités égypto-occidentales pour permettre à un nombre limité de Palestiniens de sortir, prétendument pour une « protection temporaire ». Tout cela se déroule dans un silence international suspect, qui prépare le terrain à une troisième Nakba... sans déportation visible, mais par l'humiliation collective, la famine organisée, la paupérisation imposée.
Les gens ne sont plus expulsés par les chars, mais par le désespoir. Quand un père ne trouve plus de médicament pour sa fille, ni de pain pour sa famille, ni d'eau potable à boire, il commence à penser : « Et si on partait ? Et si ce cauchemar prenait fin ailleurs ? » Le départ devient alors une idée tentante, même au prix de grands risques. C'est ainsi qu'est organisé le déplacement aujourd'hui : non par des soldats armés, mais par un monde qui pousse les gens au bord du gouffre... puis leur tend une corde qui ressemble au salut, mais les attache à l'exil éternel.
Ce qui se trame à Gaza n'est pas une réponse provisoire à une crise passagère, mais un projet d'élimination de long terme. Un projet auquel coopèrent la puissance militaire, la diplomatie internationale, l'abandon du monde arabe, l'épuisement des sociétés, et la trahison de l'humanité. Le déplacement de Gaza n'est pas un fantasme, c'est une réalité qui se construit, mot après mot, crise après crise, tente après tente.
Mais ce que les planificateurs ignorent, c'est que cette terre ne s'oublie pas. Et que son peuple, même s'il est contraint à l'exil, porte dans son cœur la carte du retour. Car la Palestine ne s'efface pas. Gaza ne disparaît pas. Et les peuples qui ont traversé les massacres ne sont pas vaincus par la peur. Ils se relèvent des cendres... et écrivent à nouveau leurs noms sur les murs, les champs, et sur les clés des maisons qui, dans leur mémoire, ne se sont jamais refermées. »
Retrouvez l'ensemble des témoignages d'Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l'Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l'enfance.
Tous les deux sont soutenus par l'UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.